Au goulag, mémoires inédites d’un chef de camp
Boris Alexeiev est un communiste sincère et sans histoire. Par une série de « coïncidences » où la perversité de la bureaucratie stalinienne joue à plein, il se retrouve bientôt en charge de l’un des plus vastes camps de concentration du goulag soviétique. Les mémoires qu’il écrit, au soir de sa vie, apportent un éclairage précieux, tant sur l’évolution de « l’archipel du goulag », que sur la psychologie d’un homme qui en fut à la fois rouage et victime. Tour à tour criminel et réformateur avisé du système concentrationnaire, Alexeiev ne cherche ni à s’accuser, ni à se disculper : il dit, sans fard, la cruauté nécessaire pour atteindre la « norme » et jouer ainsi son rôle dans ce qu’il pensait être l’édification du socialisme. Claude Alzon a retrouvé et mis en forme ces mémoires, qu’il a dotés d’un appareil critique et agrémentés de ses propres recherches sur la vie soviétique. À mi-chemin entre le document et le roman, l’ouvrage parvient à pénétrer au cœur du Goulag sans ne tomber jamais dans le pathétique.
Extrait :
» C’était en décembre 1938. Il était trois heures du matin. Je dormais tranquillement dans mon petit appartement de banlieue quand j’entendis distinctement qu’on essayait de forcer la serrure. Je me levai et me trouvai nez à nez avec deux hommes et une femme. Ils étaient en civil, mais le manteau de l’un d’eux, mal fermé, laissait voir le col de sa veste, avec ses liserés bleus. C’était le NKVD. Que pouvaient-ils bien me vouloir ? Je le leur demandai, mais j’obtins pour toute réponse qu’« on me le dirait là-bas ». L’année 1938 avait été terrible. On avait arrêté, jugé et exécuté de nombreux cadres du parti. Et, disait-on, des milliers d’intellectuels avaient été déportés. Mais, à moi, que pouvait-on reprocher ? J’étais un communiste fidèle, un ancien militant actif du komsomol. Le comité central venait d’approuver le rapport rédigé, disait-on, par le camarade Staline en personne2. J’avais été chargé d’en résumer l’essentiel et je n’avais montré, bien au contraire, aucune réticence au sujet de la liquidation récente des traîtres trotskystes et boukhariniens.3 Je ne doutais pas qu’on m’eût confondu avec un homonyme et assistai tranquillement à la fouille en règle de mon appartement. Mes visiteurs ne jetèrent qu’un coup d’œil à ma bibliothèque, mais emportèrent, sans les lire, tous mes papiers, des documents de travail pour l’essentiel. On en dressa un inventaire long et minutieux. Puis ma visiteuse, qui servait de témoin, me fit signer le procès-verbal de la perquisition. Les deux hommes, qui avaient trop chaud, enlevèrent leur manteau et je vis alors que, contrairement à la femme, ils étaient armés. La fouille avait duré près de deux heures. Nous nous engouffrâmes alors tous les quatre dans une Pobieda. Je pensais que nous allions à la Loubianka. Effectivement, nous prîmes la rue Okhotny Riad et passâmes devant l’hôtel Métropole. Mais nous continuâmes vers l’Ouest, vers Boutyrki. Boutyrki, appelé aussi la Boutyrka, passait pour la plus ancienne prison de Moscou. Elle avait, disait-on, été construite sur l’ordre de Catherine II après l’échec de la révolte de Pougatchev. Je cessai de me poser des questions. J’étais innocent. On verrait bien. «
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Caractéristiques
- Pages : 108
- Langue : Français
- ISBN : 978-2-37071-0888
- Dimensions : 140 x 195 mm
- Date de sortie : 14 septembre 2016