Ce que l’eau sait
Préface d’Alexis Bernaut
Sam Hamill est né orphelin de père en 1943. Adopté à l’âge de trois ans, élevé à la dure dans une ferme de l’Utah, il fugue à 14 ans, Sur la route de Kerouac en poche, à San Francisco.
Il y connaîtra la rue, la drogue, la prison. C’est Kenneth Rexroth, le parrain de la Beat Generation, qui le sortira de cet environnement de misère et de violence.
Engagé dans les Marines par décision de justice, Sam Hamill en sortira, sous la double influence d’Albert Camus et du bouddhisme zen, comme objecteur de conscience. Dans les années 1960, il militera activement contre la guerre des États-Unis au Vietnam et, en 1972, co-fondera Copper Canyon Press, l’une des maisons d’édition de poésie américaines indépendantes les plus prestigieuses, qu’il dirigera pendant plus de trente ans.
En 2003, alors qu’il vient de prendre connaissance des projets américains d’invasion de l’Irak, déclinant une invitation à animer une conférence sur la poésie américaine à la Maison Blanche, Sam Hamill fonde Poets Against The War (Poètes contre la guerre). Ce mouvement rassemblera plus de 13 000 poètes du monde entier, contre les guerres du gouvernement de George W. Bush.
La poésie politique et écologique de Sam Hamill, publiée pour la première fois en France en recueil en édition bilingue après avoir été traduite dans une quinzaine de langues, est à la fois typiquement américaine et grand ouverte sur le monde.
Les sources auxquelles elle puise sont intemporelles et universelles. À ceux qui remettent en question la place de la politique en poésie, Sam Hamill dit : « On ne peut pas écrire sur la condition humaine et se contenter d’être apolitique. Personne n’a jamais vécu dans ce monde-là. »
Traductions d’Alexis Bernaut, Dominique Delpirou, Delia Morris & André Ughetto
Prix
15 €
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Caractéristiques
- Pages : 244
- Langue : bilingue français/anglais (États-Unis)
- ISBN : 9782370710826
- Dimensions : 120 x 170 mm
- Date de sortie : 6 juin 2016
Revue de Presse
Sam HAMILL
Ce que l’eau sait, Anthologie poétique, bilingue français/anglais (États-Unis), traductions d’Alexis Bernaut, Dominique Delpirou, Delia Morris & André Ughetto, préface d’Alexis Bernaut, Montreuil, Le Temps des Cerises, 2016, 244 p.
En juin 2016 est enfin parue la première anthologie de Sam Hamill, né en 1943, grand poète américain dont la biographie dévoile combien la première partie de sa vie fut rude : elle s’acheva dans la délinquance, la seconde devant être au contraire exemplaire.
Les deux premiers poèmes du livre sont dédiés aux maîtres : Han Shan Tsou et Kenneth Rexroth, le parrain de la Beat Generation. Avec le second, c’est dans un cadre marin digne de Virgile, cité en exergue, que Sam Hamill place, d’emblée, l’amour au cœur de la vie : « Aimer c’est vivre ». Très vite s’ajoute l’idée de travail ; celle-ci complète sa définition de la vie :
Si vivre signifie aimer,
travailler donne forme aux mots que nous prononçons ;
chaque jour,
nous luttons pour construire un monde nouveau.
Allusion est faite ensuite au chant et à la musique qui ont tant compté pour ce poète. D’ailleurs, si le lecteur n’a pas accès à la littéralité du texte, il profite néanmoins de sa qualité musicale par le rythme qu’ont réussi à transposer ses excellents traducteurs, Alexis Bernaut et André Ughetto notamment.
D’autre part, c’est bien parce qu’elle est tenue pour contribuer à la rédemption que la nature est prégnante dans l’ensemble de l’œuvre d’un homme qui peut avancer, plonger même « dans les branches et les rameaux pourris ». Une nature consolatrice du temps qui passe, consolatrice des larmes passées de la mère et de la mort du père.
La fluidité du style jointe à la clarté des idées parle à la sensibilité du lecteur qui chemine à l’unisson du poète :
mi-chemin de notre parcours, nous sommes
invisibles, nous sommes seulement des ombres
qui glissent dans la nuit, et font une pause pour donner
un nom aux choses qui façonnent notre passage
Malgré la douleur suscitée par la musique qui lui « brise le cœur » ou en laquelle il se perd comme dans La Pastorale de Beethoven, Sam Hamill dit que rien, en effet, n’empêche de poursuivre ici, grâce à la langue, la célébration de la nature.
L’écriture pallie également une forme d’angoisse quand la question de l’amour ou celle de la mémoire échappent à la compréhension. Son support est alors personnifié, tel un ami :
le papier humide importé
de quelque part où je ne suis jamais allé
bénit mes doigts avec
des baisers frais, doux, cotonneux, tels
les murmures des défunts.
Avec le texte « Nommer les bêtes », le ton se fait lyrique, la disposition des vers se décale, l’un sur la droite de la ligne, l’autre sur sa gauche, mimant un vertige jusqu’à l’excipit.
Plus loin, l’acte d’amour sous « les premières étoiles » est magnifié. Puis viennent les allusions géographiques, véritable marche autobiographique à travers le temps, avec toujours la nature comme adjuvant, les oiseaux comme compagnons, les arbres à planter.
Et c’est là, au centre d’un récit cette fois, « Destination Zéro », que lui, l’orphelin maltraité, était déjà, se rappelle-t-il, tenté par la fuite :
petit bonhomme de trois ans en colère terrifié
par le noir et le fouet de la gaule
par leur ferme et leur pays hostile,
« Et vous ne pouvez pas me garder ici. »
Et j’essayais de m’échapper.
Le voilà aussi qui ne sait toujours pas, au bout de quarante ans, « comment faire [le] deuil » de sa mère.
Après une longue réflexion sur la mort, celle aussi du chien qu’il a perdu étant enfant, il lui faut reprendre la route. (Tout jeune Sam Hamill s’était rendu en auto-stop à Los Angeles avec Sur la route de Jack Kerouac dans la poche.)
Les trois parties – il y en a six en tout – sont dédiées aux amis poètes. La première, intitulée « Discutant avec Milosz à Vilnius », s’adresse au « vieil homme » qui ne vivait pas dans le même monde que lui mais qui, en « grand moderniste » qu’il était, a contribué à civiliser le jeune poète.
Le texte qui suit, « Neuf portes », annonce le pire :
Je tâtonne, je trébuche, je tombe.
Mais la lutte doit continuer et il faut attendre « [q]ue le poème apporte / un peu de lumière intérieure ». Il est alors temps pour Sam Hamill d’énoncer son « ARS POETICA » en convoquant autant de héros, de philosophes et de poètes que nécessaire et en nommant des personnages de la mythologie et de la littérature grecques (Achille, Ulysse, Thétis, Circé, etc.). Il évoquera à d’autres endroits du livre, et notamment dans le poème « La véritable paix », le bouddhisme zen qu’il a étudié.
Dans un registre qui passe, de façon toujours fluide, de l’épique au lyrique, la grande variété des vers – certains sont longs, d’autres brefs, d’autres encore s’éloignent de la marge – mime sans doute le cheminement chaotique du poète :
Certains construisent des prisons, certains
décrivent des prisons,
et les nomment sanctuaires.
Cette lutte que Sam Hamill, qui fut objecteur de conscience, mène dans et par l’écriture poétique, fait le pari de s’en prendre aux bombardements, à la torture, au « commerce de la mort », autant d’horreurs énumérées comme on récite une litanie dans le texte « BODY COUNT ». Il reste, affirme-t-il, comme seul recours, à s’identifier aux pays et aux êtres en souffrance et à louer le corps humain :
Louanges au corps dans toute sa gloire
à ce corps que certains disent fait
à l’image même de Dieu
C’est à son ami Salah Al Hamdani, poète irakien exilé le plus connu en France et auquel il rêve souvent, qu’il s’adresse ensuite, pour lui dire son empathie profonde :
J’ignorais ta langue, toi la mienne,
nous clamions notre fraternité à travers nos poèmes,
notre solidarité dans un monde étranger.
Les derniers textes de cette anthologie offrent ainsi le partage comme espoir, que ce soit dans les larmes ou avec le pain et l’amour. Même si, pour le « pèlerin solitaire », la fin du chemin se rapproche : « Je vais mourir sur la route de Rama, / mon cœur bercé par son chant », et s’il va rejoindre Yánnis Ritsos, son autre ami, chez les morts, l’essentiel est bien de continuer à être ensemble, dans la lumière de la poésie.
France Burghelle Rey